mercredi 24 juin 2015

Fierté

Photo: Lucie Renaud
Est-il devenu dépassé de clamer sa fierté d'être Québécois? Peut-on encore brandir le poing, chanter en chœur, s'unir pour changer ce coin de terre qui est le nôtre, que l'on soit né ici ou qu'on l'ait choisi? Où sont passées les valeurs d'antan, celles que nous ont transmises les Premières Nations, ce sens de la communauté qui nous distinguait, la puissance de la parole circulaire, une volonté de privilégier la médiation à la répression? Que sont les visages fiers, les regards francs devenus?

Jour après jour, je défends la culture d'ici: nouvelle littérature qui s'est enfin émancipée de l'ombre du colonisateur, musique contemporaine vibrante et interprètes exceptionnels qui la font leur, dramaturgie intransigeante qui parfois se cherche, qui n'a pas peur de nous renvoyer au visage nos incohérences. La question de l'identité, je la fais mienne au quotidien. J'étais à la bibliothèque hier et ai ramassé Sœurs de Wadji Mouawad (que j'avais ratée au Théâtre d'Aujourd'hui), le premier roman adulte de Charlotte Gingras, un vieux numéro de Nouveau projet (publication toujours d'une rare pertinence), quatre films (trois de réalisateurs québécois, l'autre mettant en vedette un acteur d'ici).

Pourquoi, alors, ne me reconnaissais-je pas dans la proposition de Fête nationale sur les Plaines d'Abraham? Une impression par moment de travail bâclé sur scène, d'indolence dans la foule aussi. On prend une bière et on oublie le reste: la job, le train-train quotidien, la cohabitation parfois difficile avec l'autre. Pourtant, on attrapait quelques regards brillants, une main tendre était passée sur le dos d'une compagne, des fleurs de lys ornaient les joues. Les jeunes n'avaient même pas peur d'entonner avec les autres le refrain de Quand on est en amour de Patrick Normand. Nous avons même vécu un instant de magie réelle, de beauté suspendue, quand une Salomé Leclerc fragile et forte à la fois a interprété Le répondeur de Dédé Fortin.

Photo: Lucie Renaud
Il portera bientôt allégeance à la Reine, sans doute en en serrant les dents, parce qu'il souhaite devenir québécois. Hier soir, il était là-bas, sur les Plaines, pour la première fois de sa vie. En début de soirée, il attendait avec impatience un collègue, sa caisse de bière à la main, comme tous les autres. Une incroyable fébrilité dans la voix. Une volonté de s'inscrire dans le tissu métissé de ce pays. La fierté d'être un parmi des dizaines de milliers. alors que je venais de prendre la décision de ne pas me mêler à ceux qui se presseraient sur la Place des Festivals, que j'étais encore profondément révoltée par l'annonce le jour même par la ministre de la Culture - ma députée en plus! - de coupes de 2,5 millions aux programmes du CALQ. Une seconde, prégnante, j'ai eu envie d'y croire... encore. À minuit, quelques mots laconiques de sa part. « Les gens ont perdu foi en leur pays. » Indéniable pincement au cœur.

Ce matin, je me suis levée et ai ressenti le besoin d'écouter Si on avait besoin d'une cinquième saison d'Harmonium. Certains vers avaient une toute autre saveur...

besoin d'écouter

Une chanson juste pour toi
Juste pour me dire grouille-toi
Une chanson pour m'haïr

Parce que j'ai pus rien dire
...
On voulait chanter dans la rue
Pour êt' moins perdu
Pis c'est la rue qu'on a perdue
...
Une chanson d'un parti
Qui fait p'us partie d'ici
Une chanson pour repartir
Loin du grand musée de cire
...
Si c't'un rêve, réveille-moé donc
Ça va être not' tour, ça s'ra pas long
Reste par icitte, parce que ça s'en vient

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