vendredi 31 juillet 2015

Lune bleue

En lisant sur la lune bleue (on ne parle pas de couleur ici, quoi qu'hier soir, elle était absolument spectaculaire et gigantesque), j'ai enfin compris l'expression anglaise Once in a blue moon... On parle en fait ici de la deuxième lune d'un même mois, ce qui arrive plutôt rarement (tous les deux ou trois ans).

Un truc idiomatique donc, comme je les aime (plaisir coupable du traductrice), néanmoins certes moins dramatique dans sa signification que « Quand les poules auront des dents » (ou que Paul Thomas Anderson fait pleuvoir des grenouilles à la fin de Magnolia!).

Cette lune permettrait aux rêves de se réaliser. Je ne manquerai pas de lui parler ce soir.

jeudi 30 juillet 2015

Marques

Malgré la chaleur, je me suis assise au piano presque trois heures cet après-midi. Bach d'abord - comme je ne connais pas suffisamment le Clavier bien tempéré et pourrais y travailler jusqu'à ma mort! -, puis Mozart: deux fois le Rondo en la mineur (tu sais l'amour que je porte à cette pièce trop peu jouée) et puis sept sonates, de celle en la mineur justement jusqu'à la dernière, avec trois oubliées volontairement.

Si je n'avais qu'une seule partition à sauver, ce serait celle-là, parce qu'elle est remplie d'annotations, de ma main (doigtés, analyses harmoniques, qualificatifs de personnages pour bien cerner un motif mélodique) et de celle de professeurs, particulièrement d'Harvey Wedeen, avec lequel j'ai travaillé plusieurs sonates quand j'étais à Philadelphie. Quand mon œil attrape un de ces commentaires, je ne peux m'empêcher de m'y arrêter une seconde, mais aussi d'avoir la curieuse impression qu'il est à mes côtés, tout comme la Lucie d'alors. Bien étrange trio...

L'éléphant parmi les poules

Bach, grand Bach, que j'ai découvert bien plus tard que les autres grands maîtres.


Dans mon Encyclopédie de la musique (Universalis), sur Bach 

Bach naquit architecte. Mais, là encore, il faut bien entendre l'éloge. Il va moins à une architecture que l'architecture ne vient à lui. Il se trouve en sa musique une permanente disponibilité de la forme qui en fait le prix. Sa pédagogie elle-même en fournit la preuve, laquelle était merveilleusement empirique. L'expérience librement avancée l'emportait toujours sur le concept préalable, et cela parce que l'élève ne peut voir d'emblée la justification de celui-ci : on n'apprend pas la nage hors de l'eau. De même, toute dogmatique, en ce qui concerne les formes, prive celles-ci de leurs meilleures vertus. 


mercredi 29 juillet 2015

Bach le géant

Après les histoires d'amours entre Augusta Holmès, j'ai passé la journée dans un tout autre registre, les Partitas et Sonates pour violon seul de Bach. N'empêche... le manuscrit date de 1720, année du 35e anniversaire du compositeur, mais aussi celle de la mort de sa première femme Maria Barbara. Devrait-on lire une douleur sublimée entre certaines de ces lignes magnifiques?

Demain, j'examinerai plus à fond cette théorie que les jumelages partitas/sonates sont liés à Noël, à la Passion et à la Pentecôte (est-ce même bien nécessaire d'y penser pour apprécier l'oeuvre?), puis sortirai mes ciseaux virtuels afin de réduire le texte aux bonnes dimensions.

Comme je serai malheureusement obligé de faire disparaître la citation d'André Suarès (que j'avais déjà réduite), je la reproduis ici dans son intégralité.

« Immortelle présence et nécessité de J.-S. Bach: On ne peut parler de sa jeunesse ni de la force: il est de tous les âges, et toutes les puissances de la musique sont en lui. Jean-Sébastien Bach est notre Père Éternel. Il est le Fiat Musice du monde sonore. En tout art, de hauts génies dominent sur les autres, et semblent l'emporter sur toute beauté rivale: ainsi Shakespeare et Racine, Aristophane et Virgile, Goethe et Stendhal, Rembrandt ou Goya. Mais Bach me donne l'idée qu'il est plus grand, plus puissant, plus beau, plus étendu en musique, plus musical enfin qu'aucun autre artiste souverain dans son art propre. Et même la vertu de Bach est telle qu'il domine sur tous les artistes, en quelque art que ce soit, et non pas seulement dans le sien. Ni en poésie, ni en peinture, ni dans le statuaire, aucun homme n'égale Bach par la puissance et la beauté, la grâce de l'âme et la profondeur de l'esprit. L'équilibre de l'oeuvre et du sentiment est sans exemple. Bach révèle l'intelligence au coeur et pénètre d'amour toute l'intelligence. Il est plus parfait dans son propos que tous les autres artistes dans le leur. Bach est la vie rachetée du néant par l'harmonie et la sérénité pensante. Tout ordre et toute émotion en lui: dans cet art incomparable, le coeur et l'esprit s'accomplissent l'un par l'autre. »

Retour de Toronto

De retour de Toronto, où je m'étais rendu pour le plaisir, en compagnie d'une amie. Des moments difficiles avec elle, ponctués par nos besoins respectifs de mettre nos limites, de dire à l'autre voici qui je suis. Le voyage est une intense mise à l'épreuve; comme l'art. 

mardi 28 juillet 2015

Créer, aimer

Je me suis plongée aujourd'hui dans cette histoire d'amour - platonique? on peut en douter - entre Augusta Holmès et César Franck. La belle, fille illégitime semble-t-il d'Alfred de Vigny, avait mis tous les artistes de Paris à ses pieds, charmés qu'ils étaient par ses dons (de chanteuse, pianiste, compositrice), mais aussi ses boucles insolentes et sa poitrine affolante. 

Saint-Saëns lui a proposé le mariage à plusieurs reprises, commettrait même quelques vers pour elle. Elle a été la maîtresse du poète Henri Cazalis, a eu cinq enfants avec un autre poète, Catulle Mendès. Franck qu'elle considérait son « véritable maître » avait-il franchi le pas, trompé sa femme? Quelle importance au fond. L'essentiel est que cette passion dévorante est fort probablement nichée au cœur même d'une de ses œuvres les plus prenantes, son Quintette avec piano, que nous avions jadis entendu ensemble, à Ottawa, lors de cette mémorable excursion, il y a presque 14 ans de cela.

Le plus triste dans tout cela reste que la belle (née un 16 décembre, tiens donc!) est maintenant plus ou moins tombée dans l'oubli, alors que son Ode triomphale avait résonné sur les Champs-Élysées lors des célébrations soulignant le centenaire de la Révolution française en 1889. 

Si peu de femmes ont su mener de fond amour, maternité et création. Pourquoi les hommes continuent-il trop souvent de nier leurs dons?

lundi 27 juillet 2015

Raconter

J'ai vu hier un documentaire absolument fascinant, Stories We Tell de Sarah Polley. En revenant sur l'histoire de ses origines (elle a su à l'aube de la trentaine que celui qui l'avait élevée n'était pas son père biologique) et en voulant donner voix égale à tous les intervenants (i.e. tous les membres de sa famille, le père biologique, des amis de ses parents), elle propose une réflexion sur la narration elle-même, sur les détours que nous prenons quand nous racontons, sur les questions que nous ne posons jamais sur notre passé, sur toutes ces zones d'ombre.

Cela donne un film particulièrement abouti, indéniablement touchant, les deux hommes de la vie de sa mère et ses enfants évoquant avec un amour égal, mais différent, cette femme, décédée il y a plusieurs années du cancer, ce qui signifie que, bien sûr, il nous manque une voix essentielle pour comprendre entièrement l'histoire...

N'est-ce pas toujours le cas? Quand nous choisissons de partager un récit - le nôtre ou celui d'un personnage inventé -, nous le dénaturons forcément, gommant certains pans (volontairement ou non), en illuminant d'autres, transformant vérité en fiction et vice versa. Il y a quelque chose de profondément troublant dans l'incapacité humaine de transmettre une histoire sans filtrer l'information, d'opter en toutes circonstances pour la non-objectivité... Nous semblons nés conteurs.

dimanche 26 juillet 2015

Faire face

Je n'avais pas ouvert le dossier du PE2 depuis des semaines, ayant réussi à me convaincre peut-être qu'il n'y avait rien d'intéressant dans ces lignes, que l'investissement de temps et d'énergie ne serait pas récompensé, que cela « ne vaudrait pas la peine ».

J'ai lu quelques pages, ai réalisé qu'il fallait simplement que j'accepte d'y faire face, d'y replonger, de laisser la parole foisonner, puis de limer, polir, élaguer, ensuite. Que cela devienne roman, pièce de théâtre ou tombeau n'a que peu d'importance au fond. Écrire d'abord, évaluer de façon clinique ensuite.


samedi 25 juillet 2015

Bombardement...

Lutte intérieure entre le besoin d’écrire et le besoin de lire. Je ne puis faire les deux en même temps, et c’est peut-être ça le plus grand malheur de l'écrivain. Maintenant, la question est de savoir lequel des deux, entre écrire et lire, lui procure le plus grandement le sentiment de vivre.

Dérision de l'écriture


Trois jours sans écrire. Au retour à l’écritoire, le sentiment de n’avoir pas assez de force pour continuer. L’écriture se crispe si rapidement qu’il est souvent pénible d’y revenir; il faut non seulement réhabituer les muscles du corps, mais aussi laisser l’esprit vous convaincre qu’il est impossible de vivre sans l'écriture. 

J’ai commencé à écrire assez tard, soit vers la fin de l’adolescence. Pour cela, il  m'a toujours semblé que j'avais un retard à rattraper, idée comique s’il en est une, puisqu'il en faut des retards dans la vie. Néanmoins, j'ai encore à me persuader que l’écriture veut (encore) réellement de moi, comme un enfant qui cherche l’approbation de ses parents. Amis lecteurs, vous le savez maintenant, la musique est mon premier amour, ma première découverte, et c’est précisément pour ça que, même loin du piano pendant quelques jours, quelques semaines, je ne me sens jamais moins musicien. Mais pour l’écriture c’est une autre histoire...   

La mort, la vie...

Tu l'as peut-être remarqué, j'habite à un coin de rue d'un salon funéraire. Alors que la plupart des gens fuient l'évocation même de la mort, j'accepte volontiers la cohabitation de la vie et de l'après-vie. J'aime que l'on porte un soin attentif aux plantes qui ornent la façade de cet édifice, que les gens qui viennent pleurer un proche puissent aussi être témoins de la force du souffle de la nature.

L'autre soir, j'étais en train d'évoquer en des termes chaleureux ce père d'élèves trop tôt disparu, il y a trois ans déjà, un homme foncièrement bon, de bonne humeur, dans l'accueil en toute circonstance. J'avais l'impression de pouvoir m'abreuver une fois encore à sa lumière si particulière, de le voir sourire (lui arrivait-il même de se fâcher?). M qui soupait à la maison s'est rapidement senti mal à l'aise, a exigé que l'on change de sujet, que ce n'était pas gai.

Il n'a sans doute pas encore compris que les morts ne sont véritablement morts que lorsque l'on cesse de parler d'eux...

vendredi 24 juillet 2015

Le gain et la perte

Ma très chère, 

Il y a une vingtaine d'années, un professeur de musique d'Ottawa rencontré lors d'une soirée amicale à Montréal, m'avait intimé que l'art de la chanson est principalement l'affaire du parolier et des arrangeurs/réalisateurs, le compositeur s'en tirant avec la partie facile du travail. Je n'ai jamais remis en doute son assertion, bien que j'ai toujours considéré qu'une chanson excellente représentait autant de travail pour le compositeur que pour le parolier; il me faut bien prêcher pour ma paroisse! Aujourd'hui, en revenant à ce blogue — à l'écriture tout court —, après quelques jours (des siècles, puis-je dire) de silence, je comprends on ne peut mieux ce que voulait dire l'enseignant. Lorsqu'on s'absente quelques heures, quelques jours, d'une occupation régulière, le retour à celle-ci peut s'avérer pénible, et la résurrection qu'il fait poindre douloureux. 

Je suis néanmoins heureux de revenir ici, sorte de prolongement de notre conversation téléphonique d'hier, après plusieurs jours sans se parler ou s'écrire. Tu sais mieux que personne que j'ai longuement étudié, analysé, contemplé, ces dernières années, les hauts et les bas de ce que m'offre ma vie, à la recherche d'une assise, d'une fondation solide pour mieux créer. Quelques rencontres récentes m'ouvrent à de nouvelles perspectives professionnelles et artistiques. C'est pourquoi il m'est peu plus difficile de m'abandonner au silence de l'écriture. Sans parler de l'été qui virevolte en douceur. C'est, d'ailleurs, le plus bel été de ma vie, so far

L'écrivain est au repos, certes, au grand profit du musicien. Mon colocataire m'a laissé prendre soin de son excellent piano Yamaha, sur lequel je m'abandonne quotidiennement à raison de préludes et chansons en matinée et en soirée. Mon amour de la musique grandit, continue à s'affranchir des peurs de l'homme longtemps sans repaire, sans père. 

L'amour de la musique est gratitude.   

Liens

Tu es silencieux, perdu dans les méandres de la vie professionnelle. Jusqu'ici, j'ai toujours été celle ensevelie sous les impondérables et toi celui qui prenait le temps de vivre et de créer. Revirement de la donne, donc, motivé en grande partie par ce projet de voyage en sol européen. Je ne saurais trop t'inciter à aller y mettre les pieds, bien sûr, à y déposer des bribes de toi ici et là, à faire de nouvelles rencontres.

Je voulais prendre quelques instants pour te remercier une fois encore de cette amitié qui nous unit, de ces mots et de ces musiques qui nous lient. Elles me permettent de plonger dans mon cœur, mon âme, ma tête, parfois de m'y perdre entièrement, le plus souvent de m'y retrouver.

jeudi 23 juillet 2015

Laisser filer le temps

J'ai laissé le temps couler entre mes doigts aujourd'hui: un peu de flânage en bibliothèque, traversée de trois concertos de Mozart pour recentrer l'être, lecture au jardin et sur le canapé (quand il s'est mis à pleuvoter), sieste paresseuse de presque une heure, feuilletage et marquage de livres et de revues de cuisine... Laisser l'esprit ralentir, apprivoiser la dualité vide-plénitude, en rêvant de ces quelques jours que je passerai bientôt loin de la ville, dans la maison d'un ami créateur.

Improviser. Faire fi des impondérables. Demain est un autre jour. Je serai plus sage, referai volontiers l'école buissonnière pendant le weekend.

mercredi 22 juillet 2015

Le rôle de l'observateur

Mon amie alsacienne est allée voir l'exposition de Markus Lupertz lors d'une weekend éclair à Paris. Je ne connaissais pas jusqu'ici ce peintre et ai pris beaucoup de plaisir à découvrir son art, mais encore plus à l'entendre évoquer son processus de création, la lecture qu'il fait lui-même de ses œuvres une fois qu'elles sont complétées (et non pas avant d'être conçues), mais surtout du rôle, essentiel, de l'observateur, de l'interprète, que je prendrais ici dans le sens de traducteur autant que  musicien ou comédien.

Et si, au fond, il fallait juste être assez fou, assez démiurge, pour laisser la toile, la partition, le livre sortir de nous?

mardi 21 juillet 2015

Don

« Plus le cœur se dilate dans le mystère de l'Amour et plus l'espace se crée: espace d'accueil des autres et aussi d'accueil de la douleur. Plus il y a de douleur, accueillie, combattue, écoutée, plus le cœur se dilate pour accueillir l'Amour et ensuite en faire don. Nous les femmes, avec notre espace physique interne, nous le savons mieux, et probablement nous en souffrons plus. » 
Daria Bignardi, Accords parfaits

Accueillir pour faire don. Il y a quelque chose d'un peu mystique dans tout ceci. Après tout, celle qui écrit cette lettre dans le roman, ancienne amie d'adolescence rebelle d'une femme qui un bon matin a quitté les siens, est religieuse. Je trouve néanmoins que l'on peut transposer dans diverses situations, amoureuses, amicales, que cela représente bien l'essence même du geste artistique.

lundi 20 juillet 2015

Plaidoyer pour le bonheur

Dans l'escalier mobile du métro, dans la longue dernière montée, j'ai remarqué un livre en format poche dans la main de l'homme qui me précédait. Sa main en dissimulait en grande partie le titre et je me suis demandée une seconde ce qu'il pouvait lire. Pour une raison ou une autre, croyant avoir lu Muriel, j'ai pensé à L'élégance du hérisson. 

Il a fini par rentrer le livre dans la poche arrière de son short et j'ai compris alors que j'avais eu tout faux. Il s'agissait plutôt du Plaidoyer pour le bonheur de Matthieu Ricard, un traité bouddhiste et philosophique, que je n'ai jamais eu en main. J'ai considéré un instant sortir mon téléphone, photographier la poche arrière du propriétaire. J'ai réalisé que le propos était ailleurs, qu'il fallait simplement que je laisse l'instant me traverser, que la journée apporterait autant de questions que de réponses, qu'il fallait rester à l'écoute.

dimanche 19 juillet 2015

Des défunts

J’écris sans pouvoir m’arrêter — et pourquoi s’arrêter?
Pourquoi espérer redoubler d’ardeur
de fantaisie
de pénétration subjective

Si le bonheur s’écrit, réalisons vite que ce sera dans une langue morte
Au reste, que faire lorsque s’absente l’écriture
Comme une mer rectiligne, une frondaison de glaise
La musique insiste, il faut la jouer, la produire, l’éjaculer
pour qu'elle se reproduise
Il faut l’entendre, la mouvoir, la faire jouir, la pétrir d'un amour opiniâtre
Les fleurs les plus insistantes sont les seules à vouloir notre vouloir
Inutile de chercher plus loin, la joie provient de cette fragile once de lumière
qu’il faut pour en produire des milliers
Il faut s’éloigner à l’extrême du centre de notre être

pour toucher à la magie du devenir enfin quelqu’un
Le prénom que l’on nous a donné est un pays en chantier
Chantier d’hibernation avant la naissance
Il n’y a point de défunts dans l’écriture
Points de défunts dans les mensonges

Durée

« Nous ne supportons plus la durée. Nous ne savons plus féconder l’ennui. » (Paul Valéry)

Tu n'as pas l'impression certains jours que tout va trop vite, n'est jamais bouclé, se termine même avant d'être commencé? 

J'ai grandi dans la musique classique, l'ai travaillée pendant des heures, inlassablement, pas toujours avec le sourire. J'avais parfois l'impression que ma mère m'enfermait dans un donjon pendant deux heures, le temps de ma « pratique ». Oui, le terme est un anglicisme quand on l'utilise dans le sens de répétitions (souvent dénuées de sens, il est vrai). Aujourd'hui, je le conçois plutôt dans le sens d'une pratique religieuse, d'une pratique artistique. « Par opposition à la théorie », me rappelle le Larousse. « Connaissance acquise par l'expérience, par l'action concrète. » 

Parfois, je lisais mon roman d'une main pendant que je travaillais mes partitions les mains séparées - savoureux lapsus, j'avais écrit mots plutôt que mains -, avec cette impression de déjouer ma geôlière, de rouler le système. Peut-être au fond n'ai-je jamais pu séparer les deux langages...

samedi 18 juillet 2015

Inspiré par la coureuse

à Marie-Claude, 
femme qui court et court 
qui cherche et trouve 
— et s'ouvre


Aux heures creuses de la nuit
son corps cherche la cécité
son regard de fer cisaille l’effort du monde
son coeur s’amourache de l’appétit
sa course folle pénètre la distance
Douce intervalle entre la nuit et le jour

En nocturne continu, l’aube s’affaiblit en silence
lequel est pourtant revigoré par la lumière du monde
qui ouvre à l’aube

de l’autre monde

Routine

Hier matin, en rentrant de la promenade avec le canin, je suis passée à l'instant où un homme sortait de chez lui pour aller travailler. Fin de la vingtaine, début trentaine, tenue propre sans être tiré à quatre épingles, une bonne humeur naturelle. J'ai attrapé une fois encore son « Bonne journée! Je t'aime! » Je n'ai pu m'empêcher de sourire. On saura s'insurger contre la routine, contre la répétition des gestes auxquels on ne réfléchit plus, mais ici, quand même, cela relève d'un autre registre, du moins je le souhaite. Il n'est pas encore à l'âge où le couple nous rend blasé, est synonyme de banalité, du moins je veux le croire. Et elle, que lui répond-elle? Lui répond-elle? 

vendredi 17 juillet 2015

Mozart, encore, enfin...

Je suis passée de Bach à Mozart ce matin, par défi peut-être. Je sais bien combien il est difficile de rendre correctement les subtilités du compositeur quand il y a de l'interférence, tant que l'on n'a pas accepté de se dénuder entièrement devant lui. La première sonate jouée, la K. 332, a manqué un peu d'aspérités. Le mouvement lent ne respirait pas entièrement, je sentais la précipitation dans la phrase, dans le geste. Un délié cohérent cependant a récompensé mes efforts dans le mouvement rapide.

J'ai tourné la page, des dizaines de fois, ai traversé d'un même souffle ou presque la K. 333 - tu te rappelles, le début m'avait permis de « reconnaître » Wolfie, ce matin de décembre, il y a presque 10 ans de cela -, puis celle en do mineur K. 475. Même si je continuais de presser les tempi, les réflexes revenaient, me permettant d'éviter les embûches. J'ai joué le premier mouvement de celle en si bémol, K. 570, puis ai bifurqué vers la dernière, la première pour moi, K. 576, celle que j'ai travaillé sur une période de trois ans à l'adolescence - un mouvement par année -, les deux premières sous la tutelle de Sœur Marie Faucher, qui serait foudroyée par le cancer en moins de deux mois en un automne, celle qui m'appelait - je n'ai jamais su pourquoi - « mon petit loup à la queue coupée ». Même si je semble avoir oublié l'intonation exacte de sa voix, j'ai presque senti son parfum suranné dans la pièce, la douceur de ses mains sur mon dos. Enfin, j'avais atteint l'accord  - toujours à renégocier - avec la pièce, avec l'instrument.

jeudi 16 juillet 2015

Crayons de couleur

J'ai décidé de boycotter les impondérables, de fuir dans la musique (une heure et quelque de Bach, malgré le manque de tendresse évident de Wolfie à mon égard), dans les livres. Un moment presque suspendu passé avec le Journal de Julie Delporte, un roman graphique qui raconte la convalescence d'une jeune femme après une rupture. Cela aurait pu - dû - être d'une banalité confondante. Après tout, y a-t-il rien de plus cliché que les peines d'amour des autres? Pourtant, non... Il y avait une finesse, une tendresse, dans le coup de crayon de couleur, quelque chose d'unique, d'inusité, qui offrait un autre éclairage sur cette histoire semblable à mille autres.

Je me suis demandé un instant si la catharsis ne devait pas venir d'un geste consciemment assumé: le choix du crayon, les mots (très peu au fond) qu'on y superpose, le son de la mine qui glisse sur la feuille de papier, la sensation de l'application de couleur sous le doigt, le papier collant que l'on coupe pour appliquer le fragment sur la page.

Retrouver le sens du toucher avant de retrouver le sens de la vie.

Quelques nouvelles brèves

De douces insistances enrobent la saison, si loin des nuages. De l’amitié en amont, des espoirs revigorants à l’horizon, comme un paradis de pianos accordés...


Depuis mon arrivée dans la formation Korum, il se passent des choses pour moi et le quatuor, des choses de l’ordre du personnel, de l’intime, de l'ineffable. Certaines transformations sont impossibles à contourner, car elles sont d’une puissance vigoureuse, presque insupportable.

L’été endiable l’aventure terrestre, le poème revendique la souveraineté de l’amour, et l’amour l’éternel retour du présent. Il est normal de trouver la vie plus difficile lorsqu’on réalise que tout est possible tout le temps. Ce moment où l’âme perd sa virginité.


Que l’été continue de t’endiabler, chère Elle. Que nos retrouvailles au creux de la main fassent le tour du monde le temps d’une chanson.