Cher toi,
Quand je t'ai proposé cette collaboration il y a quelques mois, je n'aurais jamais pu imaginer ce que l'avenir me réservait. J'aimais l'idée d'un dialogue quotidien entre nous, par mots écrits interposés. Je souhaitais laisser une trace de notre amitié, étalée sur un an et quelque. Toi qui as toujours écrit sur une base quotidienne dans tes journaux intimes, qu'ils soient électroniques ou papier, étrangement, as eu plus de difficulté que moi à te couler dans la cadence. De mon côté, mue par une étrange volonté de m'astreindre à ce rendez-vous quotidien (je l'avoue, parfois, j'ai programmé les billets du weekend, histoire de pouvoir entièrement décrocher de l'ordinateur), j'ai écrit vaillamment, jusqu'à la fin août plus précisément. C'est alors que mon corps m'a lâchée, ma tête plus précisément.
Pendant une semaine, je vivrais avec un mal de tête des plus envahissants. Persuadée que ce n'était qu'un écho à des règles douloureuses et/ou à une forte allergie à l'herbe à poux, je ne m'en suis pas d'abord inquiété outre mesure, puis ai senti que quelque chose n'allait pas. La docteure à la clinique sans rendez-vous m'a servi un laïus préparé d'avance, sur le passage des ans et l'ajustement aux nouvelles lunettes. Le lendemain, je perdrais la faculté de traduire, non pas celle de comprendre l'anglais (ou même de l'allemand, comme je le constaterais le surlendemain), mais la faculté à transformer un texte écrit en langue étrangère en français. Il semble donc que nous ayons dans le cerveau une zone de la traduction, dans l'autre hémisphère de celle de la musique, heureusement.
Quand j'ai fini par me pointer à l'hôpital, tout juste capable de donner mon nom et mon numéro de cellulaire, les dommages étaient faits. En effet, une tumeur de grade 4 s'était propagée dans mon cerveau à la vitesse grand V (un mois tout au plus, une invasion fulgurante, comme le sont maintenant les guerres). Chirurgie, chimiothérapie et radiothérapie ont suivi.
Je continue de me battre, vivant chaque jour non pas le dernier, mais le premier. Chacun apporte son lot de deuils à accepter (comme celui de la lecture vorace), mais aussi de victoires, petites ou grandes. Je me suis remise au piano sur une base quotidienne, travaille et mémorise des préludes et fugues de Bach, improvise dans tous les tons, joue de la pop. Une posologie autre, qui pousse mon cerveau dans ces derniers retranchements, mais repousse la bête j'en reste persuadée.
Je pourrais me servir de la technologie et fouler autrement des sentiers balisés. Je n'en ai pas envie. D'ici à la fin de ma vie, j'ai besoin que ma mission de transmission soit vécue autrement, par la voix, la musique, les sourires et les silences complices.
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