dimanche 2 août 2015

Histoire d'une rencontre

J'ai eu envie de reprendre ce texte, commis à la fin 2007, que tu reconnaîtras sans peine.

Roland m'avait appelée un soir, l'air de ne pas trop y porter attention. Après quelques échanges de banalités, il avait échappé, presque du bout des lèvres, qu'il avait peut-être quelqu'un à me présenter, nouvellement agent libre, un être qui, selon lui, pourrait très bien être l'unique, celui que j'attendais. L'air de ne pas y faire trop attention, je lui avais demandé quand il pourrait donner un coup de main discret au destin. Il m'avait invité à une soirée chez lui mais mon horaire trop chargé ce mois-là m'empêchait de me déplacer chez lui, à la campagne. J'ai proposé une autre date mais il avait décliné, occupé par les répétitions pré-concert de sa chorale. En consultant plus attentivement nos agendas, nous avions convenu de nous rencontrer pour un brunch, un dimanche matin de décembre. Échaudée par nombre de contacts superficiels et de beaux parleurs sans âme au fil des ans, j'avais noté la date sans trop m'y attarder, me disant que, au pire, j'aurais perdu quelques heures de ma vie et découvert une nouveau coin de pays. Engouffrée dans le tourbillon des fêtes de fin d'année qui se profilaient à l'horizon, j'avais plus ou moins oublié la rencontre prévue.

La veille du rendez-vous, je recevais une cinquantaine de personnes chez moi. Les conversations allaient bon train, les rencontres intéressantes se multipliaient, l'intensité était au rendez-vous. Les derniers invités avaient quitté les lieux vers 1 heure du matin, sauf toi, que j'hébergeais pour la nuit et qui me servirais de chaperon le lendemain matin. Avant de sombrer dans un bienvenu sommeil, nous avions ramassé quelques assiettes, refermé une ou deux bouteilles entamées, replacé quelques meubles. Le lendemain matin, un peu hagards, nous nous étions engouffrés dans la voiture. À peine le pont franchi, mon cellulaire tintait: une amie, fébrile, venait déjà aux nouvelles. En souriant, je lui ai expliqué que la rencontre n'avait pas encore eu lieu et l'ai rassurée que je la rappellerais dès mon retour à la maison.

Laissant la grande ville et sa banlieue derrière nous, nous avons bientôt emprunté des chemins de traverse moins fréquentés avant de trouver l'endroit indiqué. On me présenta d'abord un grand sec, au nom imprononçable, riche parvenu, légèrement pompeux, qui sonnait vaguement creux. J'ai jeté un regard interrogateur à Roland qui me rassura d'un geste que, non, ce n'était pas lui, mais tant qu'à être venus, pourquoi ne pas multiplier les rencontres, n'est-ce pas? Après m'avoir offert un rafraîchissement, il m'emmena bientôt vers un endroit plus retiré de sa maison.

Dans le coin, l'air vaguement gêné, il attendait. Les présentations faites, il s'éloigna pour vaquer à d'autres occupations. Mon regard fut immédiatement attiré par son côté racé: élancé mais avec quelques rondeurs, un sourire étincelant, une dégaine assez contagieuse. Je t'ai jeté un coup d’œil, toi mon complice, guettant un signe d'approbation discret de ta part. Il s'est alors approché de nous. Dans la voiture, j'avais préparé « la » question, celle qui tue, qui départage les prospects intéressants des vulgaires pantins et il le savait. En me posant sur un siège, je l'ai fixé un instant avant de dire doucement, presque en chuchotant: « Mozart, tu en penses quoi? » Tout de suite, son regard s'est allumé, sa voix de basse s'est faite troublante et il a évoqué ses sonates pour piano, le Requiem que tu avais chanté, quelques airs de La flûte enchantée. Vaguement ébranlé, tu l'as alors lancé sur la piste de Chopin puis sur celle des auteurs-compositeurs-interprètes. Sa répartie était vive, son enthousiasme contagieux, sa chaleur m'irradiait, j'étais complètement sous le charme. Il s'était endormi pendant des années, avait eu la vague impression d'avoir servi de meuble, de parure, sa précédente conquête se pavanant à son bras une ou deux fois par année mais sinon te négligeant affreusement. J'ai failli sauter au cou de Roland quand il est revenu, le sourire en coin, mais ai réussi à me contenir. C'était lui, enfin, nous nous étions reconnus.


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