samedi 22 août 2015

L'art de conjuguer

Se laisser toucher relève de l'erreur... l'erreur grammaticale, à tout le moins. Voilà du moins ce que m'a expliqué un correcteur: deux infinitifs ne peuvent devenir sujet et outrepasser les droits des substantifs. Une construction boiteuse, peut-être comme le geste lui-même. De la même façon, souhaiter mourir ne pourrait déterminer la suite de la construction syntaxique. Sur le coup, je n'ai pas négocié très longtemps. J'ai reformulé, contourné la difficulté, fait disparaître les vils coupables. Et puis, après, je me suis mise à réfléchir sur ce que d'autres temps de verbe pouvaient laisser deviner de ces si arrogants compères.

« Je me suis laissé toucher. » Le passé composé décompose  le moment, lui enlève toute possibilité d'être assumé, force la passivité. Toucher n'est plus un verbe d'action, mais de réaction, on sent presque l'épiderme qui se hérisse, la personne touchée se réfugier dans un lieu secret, s'y blottir, y pratiquer la distanciation.

« Laisse-moi te toucher. » Le fier impératif devient plainte, supplication, tente de vaincre les résistances, souhaite faire disparaître les obstacles, comme ces haies que les coureurs font basculer dans leur foulée.

« Je me laisserai toucher. » Celui-là est déjà beaucoup plus ambigu. Il peut révéler une volonté de laisser une musique, des mots, un geste, atteindre la fissure, la combler un instant, déposer une fleur sur le bord de la fosse. Il peut aussi sous-entendre la passivité, le troc: échanger le geste contre un répit, contre deux heures passées à la terrasse d'un café, contre un certain confort, contre de l'argent, contre un manque.

Il n'y a peut-être qu'une seule façon de conjuguer ces deux verbes: ne pas le faire, tout simplement. Se laisser toucher...

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