lundi 3 août 2015

Mozart toujours

Si je peux vivre un peu plus longtemps sans musique que sans mots, je finis toujours par en avoir une envie irrépressible. Les mots libèrent, masquent parfois. La musique, elle, n’entretient aucun goût pour les dissimulations et dénude, de façon irrévocable. J’aime pouvoir toucher à travers cet autre langage, celui qui vient chercher si loin, qui traverse autant qu'il libère, qui transporte, qui soutient, qui permet de transmettre d'infinies subtilités que les mots sont incapables de rendre.

La proximité de l’auditeur effraie parfois, elle donne l’impression qu’il entend ma respiration, qu’il me sent, me ressent, me devine, interlocuteur d’un curieux dialogue qui se joue dans l’abandon, dans la confiance. J’aime me sentir happée par la musique mais à travers elle, j’aime aussi, même si cela m’effraie en même temps, être lue, que l’auditeur s’insurge avec délicatesse dans les couches de protection qui m'entourent trop souvent. J’aime deviner les yeux qui tour à tour s'illuminent et se voilent, s'émerveillent et se noircissent, témoins du temps passé mais aussi prophètes de celui à venir, des rêves fous pas encore réalisés, des baisers qui n'ont pas encore franchi les lèvres, des caresses à peine esquissées.

Musicienne, je fais confiance au silence, lui qui redéfinit souvent les contours d'une phrase, les intentions dramatiques, les instants de parfaite communion. Même si malheureusement je ne joue pas tous les jours pour moi seule (les aléas de ma vie professionnelle débordante…), quand je le fais, c'est avec une intensité particulière, qui me reconnecte avec mon essence. Parfois je le fais de façon ludique, parfois pour oublier, pour m'anesthésier. Certains jours, si je n’y fais pas attention, le compositeur, l’œuvre m’échappent, généralement parce que j’essaie de me protéger de mes déchirements à travers eux. Parfois, l'intensité me traverse, me laisse en rade mais en même temps me nettoie, me dénude pour la rencontre avec celui qui voit tout en moi.

Dans mon cas, il faut que ce soit lui et pas un autre, celui aux visages multiples, dieu et homme à la fois, être d’exception qui façonnait des œuvres dans sa tête dans leur entièreté avant de les jeter sur papier, à peine retouchées mais qui, du même souffle, embrassait la vie avec ses surprises, ses plaisirs, son côté parfois loufoque mais aussi ses rancœurs, ses déchirements, ses douleurs. « Papa chéri, je ne puis écrire en vers, je ne suis pas poète. Je ne puis distribuer les phrases assez artistement pour leur faire produire des ombres et des lumières, je ne suis pas peintre. Je ne puis non plus exprimer par des signes et une pantomime mes sentiments et mes pensées, je ne suis pas danseur. Mais je le puis par les sons : je suis musicien. » On ne peut qu’être renversé par la profonde humanité qui se dégage de ces lignes et des œuvres musicales qu’elles évoquent. J’ai accepté avec le temps qu’au fond, c’est cette fragilité qui me séduit à chaque fois. Ces journaux intimes musicaux me révèlent de nouveaux pans du visage de Mozart (les chromatismes ne sont jamais si évocateurs que sous ses doigts), mais surtout de moi-même. Si Beethoven nous élève, Mozart nous force à fixer notre reflet dans la glace et nous ramène à l’essence même de notre être.


Je me souviens de cette fois où j'ai passé une heure au bout du fil avec toi, à échanger des instants de magie; je déchiffrais Mozart, Beethoven, d'autres, pendant que tu me jouais l’une ou l'autre de tes compositions musicales. Je me souviens aussi de cette fois où je t'ai joué le mouvement lent du concerto K. 488 de Mozart, soliste et orchestre à la fois, et de cet instant suspendu qui a suivi la dernière note où les yeux s’étaient mouillés, le pouls s’était accéléré, l’âme en était sortie grandie. 

« Lorsqu’on vient d’entendre un morceau de Mozart, le silence qui lui succède est encore de lui. » (Sacha Guitry)

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