Troublante expérience que celle vécue dans le cadre de la performance Tout Artaud?! Quelque chose de déstabilisant dans le rituel qui entoure le projet. Ces fleurs que l'on apporte (une branche d'iris en tissu dans mon cas, que j'ai transporté fièrement dans le métro), que l'on dépose en hommage (à l'interprète, à l'auteur, au rêve), cette odeur de salon funéraire qui découle de tous ces bouquets qui s'accumulent depuis samedi matin 7 h. Ce silence attendu, ce recueillement indéniable, cette impression de communion, ces chuchotements discrets lors des mouvements de scène ou alors que Christian Lapointe s'apprête à faire un somme. Une façon de l'entourer d'amour, de démontrer qu'un tel projet, qui repousse les limites même du genre, peut - doit - être proposé, vécu.
Que le record Guiness de lecture en continu soit brisé est tout à fait secondaire ici. On vient communier à un étrange autel: celui d'un auteur mort dont on connaît au fond bien peu de choses (que l'on soit ou non des « théâtreux »), mais aussi celui de la création même, de la folie du geste, de la mise en danger totale.
Christian Lapointe s'est engagé dans un projet qui le transformera irrémédiablement. Comment? Il n'en avait au fond aucune idée quand il a proposé le tout au FTA. Il a certes évoqué diverses pistes de réflexions en entrevue, parlant d'un geste digne d'Artaud, d'une atteinte d'un état de conscience autre qui lui permettrait de comprendre autrement l'auteur, de se redéfinir lui-même aussi en tant que créateur. Un geste totalement kamikaze, mais d'une fracassante beauté.
Comment ne pas entendre autrement des pages traitant du rôle de l'artiste, du théâtre, des élites, quand on a accepté en devenant témoin consentant de ce geste en porte-à-faux de la société de consommation dans laquelle nous vivons de rejeter les balises mêmes de la dramaturgie, d'en intégrer d'autres, de réaliser une fois encore combien le spectacle se passe au fond autant dans la salle que sur scène, dans la vie même, alors que j'ai croisé en sortant un illuminé qui évoquait la présence partout autour de lui du « serpent », qu'il invectivait tout le monde et personne en même temps?
En rentrant, j'ai sorti Le théâtre et son double de ma - notre - bibliothèque. Quel âge avais-je quand je l'ai lu? Dix-sept ans peut-être? Je n'en ai au fond aucun souvenir. Les pages ne sont pas cornées, le papier a jauni, l'odeur qui s'en dégage évoque la négligence. L'ai-je même traversé dans son intégralité? Qu'en ai-je retenu?
Nous évoquions tout à l'heure de vive voix la nécessité de la prise de risque quand on se dit artiste. Je ne pouvais rêver d'une meilleure leçon pratique.
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