mercredi 27 mai 2015

Magie

« Si notre vie manque de soufre, c'est-à-dire d'une constante magie, c'est qu'il nous plaît de regarder nos actes et de nous perdre en considérations sur les formes rêvées de nos actes, au lieu d'être poussés par eux. » 
Voilà la première citation que j'ai tirée de ma relecture en cours du Théâtre et son double d'Artaud. Une allusion directe à la magie, non pas seulement celle du théâtre, mais de la vie même. Si je suis dans le présent, que tu m'y accompagnes, que d'autres en sont témoins, d'une certaine façon, cela m'empêche de mourir. Vivre sans se poser de questions sur la finalité du moment. Avancer tout simplement. Créer. Évoluer.

J'arrive de la conférence de presse qui a conclu l'expérience Artaud de Christian Lapointe. Il est revenu sur les défis, les surprises, les choix surtout qu'il a posés parce que, après trente heures de « réchauffement » (du corps, de l'esprit, de la parole), il a compris qu'il n'était pas (ou plus) là pour lire, mais bien pour faire de l'écriture de plateau, réaliser une mise en scène au fur et à mesure, sans le recul lié habituellement au processus. 

Décider sur un coup de tête de se coiffer d'un cône orange, de matérialiser le bâton de parole, d'offrir un segment Soirée canadienne ou un verre d'urine à une spectatrice, de relire une phrase d'abord incompréhensible, jusqu'à ce que la gestuelle puisse clarifier son essence. Ne pas écouter la voix de l'arrogance qui lui disait qu'il pouvait continuer, que le corps tiendrait encore, même si la performance durait depuis 70 heures déjà. Refuser que le projet ne devienne un freak show. Préférer la posture de l'artiste qui comprend que, après la lecture de cette lettre d'Artaud en particulier (qu'il a relue pour nous aujourd'hui), la scène finale serait jouée, que tout aurait été dit, que le spectacle pourrait alors vraiment commencer, dans l'esprit de ceux présents, qu'ils se soient arrêtés une heure ou vingt-et-une heures (comme cet homme d'un âge certain a témoigné de son expérience, perclus de questions, mais profondément reconnaissant). 

La période de questions n'a rien fait jaillir de plus que ce qui avait été précédemment énoncé, jusqu'à ce qu'on lui demande ce qu'il espérait que le public retire de la chose. Il a alors avancé simplement que tous devaient être conscients qu'il n'avait rien réalisé d'impossible, que l'on peut accomplir ce que l'on désire, tant que l'on accepte de cesser de faire ces autres choses que l'on ne veut pas. Je n'ai pu m'empêcher d'y voir un écho à ce papier brûlé par une froide nuit d'hiver et ai compris que ce que nous sommes en train de bâtir ici relève de l'essentiel.

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