vendredi 22 mai 2015

Concert et reconnaissance

Quelques jours sans donner de mes nouvelles ici. Non, je n’ai pas déserté, disons plutôt que j'ai vécu à pleins poumons ces derniers jours. Il faut croire que l’été me dérobe aux tâches plus utiles, plus importantes. Partout, je vois des filles, des gars tellement beaux qu’il est impossible de leur dire : « Non, je ne peux pas, je dois travailler. » Manque de discipline, OUI.  Assujettissement au présent de la vie, OUI.

Quand je te parlais au téléphone hier, j’avais l’air du gars qui n’était pas content que ça se passe ainsi, alors que les amis les plus soyeux, les plus tendres, les plus sensibles viennent de part et d'autre partager café, anecdotes et rigolades. L’on se poursuit les uns les autres comme on poursuivait, enfant, les bulles de savon qui sortaient du petit cuilleron de  plastique après qu'on eut soufflé dedans. Durant l'été, tout me dérobe au travail, à la rigueur, et avec ou sans barbecue, les amis, connaissances et membres de la famille se rassemblent à qui mieux mieux. En somme, l’été à Montréal, c’est une espèce de gros Facebook.

Certes, les animaux sociaux que nous sommes n’y peuvent rien, il faut être à l’extérieur si l'on veut savourer le plaisir de jouer. Ainsi, chaque année, la venue de l’été m’angoisse considérablement. Déperdition spirituelle, dérèglement intérieur, émotivité en amont. Plus encore, la peur de faillir au refus d’ostentation, la peur de finir par porter des sandales (lesquelles sont rarement sexy chez les hommes), la peur de boire un verre de trop, de m’enliser au confort de la terrasse, de trouver trop belles les femmes, la peur de ne pas bronzer assez, de bronzer trop, la peur d’avoir chaud parce que trop chaudement habillé, d’avoir froid parce que ça s'est rafraîchi, la peur de me faire voler mon vélo, la peur de tomber sur un Bixi qui roule mal, la peur de rouler trop vite en auto. La peur de tomber en amour.

Le jour où l’été sera ma saison préférée – ce qui est plus probable qu'on ne pense –, l’ascétisme et ses déclinaisons seront chose du passé. L’été c’est fait pour jouer, m’as-tu soufflé, chère Elle, hier soir au téléphone; tu as parfaitement raison, et c’est justement pour ça, parce qu'il est tout jeu, que j’ai tant de mal à  m’y faire.

Certes, tu auras deviné que mon absence ces derniers jours tient des heures galvanisantes autour du succès de l'un des membres de ma famille. Tu sais l’affection que je porte à mon neveu Christopher, la place qu'il occupe dans ma vie, tu sais aussi que ma fratrie est composée de six membres — incluant moi-même, le benjamin. En janvier 1984, ma soeur aînée, Jeannette, donne naissance à Christopher — Chris pour les intimes —, premier enfant d’une lignée de huit neveux et nièces que je chéris comme s'ils étaient mes propres enfants. À 12 ans, donc, me voilà oncle! Quel bonheur de prendre mon nouveau neveu dans mes bras, de le voir faire ses premiers pas, d'entendre ses premiers mots! Un jour, non sans gravité, sa mère me demande : « Claudio, je veux que tu lui montres la musique. » J’ai 14 ans, je ne sais exactement en quoi consiste cette réquisition, ni ce qu’elle implique pour moi et mon neveu. Ce dont je suis sûr, par contre, c’est que j’ai toutes les qualifications pour la satisfaire. 

Durant l'année 1994, au volant de ma Honda Civic, je rejoins ma soeur, son mari et leurs deux enfants — Chris et sa petite soeur Jennifer — à Windsor. Comme toujours, je trimbale dans le coffre de mon auto ma guitare Norman, un petit harmonica et des partitions musicales. Sur le perron, ma soeur et ma mère (qui est de passage dans la ville ontarienne) m'attendent sagement. Au premier soir, ou peut-être le deuxième, Chris et moi descendons au sous-sol après souper pour écouter de la musique. Entre deux chansons de Supertramp, je prends ma guitare, brode quelques accords typiquement folk. Aussitôt, Chris empoigne l’harmonica et s'accorde à ma cadence. À pas de loup, il suit le rythme, anticipe même mes changements d'accord. Cela semble si naturel, pensai-je, tandis qu'il souffle dans l’harmonica, écoutant d'une oreille attentive les sons qu'il produits au fur et à mesure. Les  mélodies qu'il compose trahissent la mélancolie du quartier, mais surtout le marasme dans lequel se trouve sa famille; faute de contrats de travail à Montréal, le père a dû amener sa famille dans la ville ontarienne. Ce soir-là, Chris exprime en musique des émotions qui resteront à jamais gravées dans ma mémoire. Quelques minutes plus tard, nous montons au rez-de-chaussée présenter nos nouvelles créations musicales à la famille. Ce soir-là, un musicien est né.


Mardi, il y a trois jours, Chris et son groupe Korum lançaient leur premier disque. Bien qu’il ait commencé sa carrière musicale avec un minuscule harmonica Hohner, qu'il ait ensuite appris la guitare, c’est à la batterie qu'il approfondit sa maîtrise musicale. Véritable extension de son corps, la batterie apparaît à l'adolescence, autour d'amis qui ne jurent que par le punk-rock de Greenday et No Use For a Name. Fondateur de la défunte formation 4Nocs, pour laquelle il joue pendant 10 ans, il forme ensuite Summersoft, avant d'être repêché par les membres de Korum. Bien que la musique l'ait plusieurs fois meurtri — moult revers et trahisons d’amis qu’il considérait comme des frères —, il accepte, non sans appréhension, l'offre de Korum, offre qu'il considère comme une dernière chance. « Si ça ne marche pas cette fois-ci, je lâche la musique » m’a-t-il lancé à plusieurs reprises. Il n’y a pas de volonté de vivre sans désespoir de vivre, écrivait Camus, et de l'autre côté, la musique de nous signifier : jouissons des plaisirs comme des souffrances, des souffrances comme des plaisirs. Tenez-vous le pour dit, en maîtresse exigeante, la musique commande on ne peut mieux le retour à la blessure originelle. C'est pour quoi les musiciens sont des exilés parmi les exilés. Si Chris n’a pas abandonné la musique, c’est qu'elle ne lui a jamais autorisé à le faire.

La musique est géniale, elle entre dans votre vie sans même cogner. Mardi soir, donc, un lancement de disque devant une foule délurée : amis, connaissances, des membres de la famille, plus encore : médias, photographes, vidéastes. Korum a enfilé six ou sept chansons – soit un peu plus que les cinq pièces du EP fraîchement lancé. De la première à la dernière note, j’incarnais la frénésie, je hurlais comme un voyou. Mais surtout, je fondais de reconnaissance et d’amour pour ces moments de vérité. À un moment, j'ai pensé à la demande de ma grande soeur. J'ai toujours eu l'impression qu'elle savait que la musique devait absolument faire partie de la vie de Chris, que sans elle il ne pourrait jamais connaître le bonheur. D’où provenait cette demande? Mardi soir j'ai vécu une sorte d’épiphanie. Imaginez un instant une épiphanie musicale, ça a de quoi rendre fou! .

3 commentaires:

  1. Cher Lui,

    Nous ne nous connaissons pas... quoique... la connaissant ELLE, je te connais aussi un peu ! ;-)

    Je voulais simplement te dire que tu es tout excusé de ton absence des derniers jours. PAR CONTRE, ne pas avoir mis de lien vers l'un ou l'autre des clips de Korum est une grave erreur que j'hésite encore à te pardonner !!! :-)

    Je réponds donc ici à l'invitation à participer lancée ici-même il y a quelques jours pour ajouter non pas mon grain de sel, mais ce simple lien : https://www.youtube.com/watch?v=wNQ6b_JzCjc .

    L'ambiance estival de ce vidéo-clip me semblait faire écho à ton billet du jour. Bel été cher Lui !

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  2. Oups ! L'ambiance estivalE. Désolée.

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  3. Le hit de l'été est assurément celui-ci: https://www.youtube.com/watch?v=C8-wUL-PYcY, tout à fait contagieux...

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