vendredi 8 mai 2015

Retour à la musique

Oui, Louise Warren; tu m'as parlé de cet auteur à quelques reprises, et j'ai un tout petit peu honte de ne pas avoir lu ses livres. N'empêche que la citation que tu partages me procure un doux apaisement. Par elle, je comprends que j'étais agité, mon corps tremblotait de l'intérieur, comme s'il sortait d'une zone froide ou d'un long voyage, qu'il retrouve enfin la solitude — lumineuse solitude — qu'il n'espérait plus 

Ceux qui ne nous connaissent pas comprendront mieux ici en quoi toi et moi sommes à la fois semblables et différents. Toi, pianiste classique, moi, auteur-compositeur. Toi, pédagogue musicale, moi, traducteur et écrivain. Toi et moi partageons une passion pour Mozart. Toi et moi avons pour amant le piano. Pourquoi alors ne pas faire de la musique notre gagne-pain principal? (je n'oublie pas que tu enseignes le piano depuis plusieurs années) 

Ma relation avec la musique a toujours été abusive. Dès mon plus jeune âge, j'abusais des disques à la maison, des cassettes de ma soeur, du système de son familial. Plus, j'abusais de son pouvoir émotionnel, de sa miséricorde, de sa grâce. Je la voulais pour moi toute entière, c'est pourquoi de la  partager m'était inconcevable, il fallait que je comprenne ce qu'elle avait à me dire. Prendre des leçons de musique? Non, cela n'est pas pour moi! Je préfère m'instruire seul. Apprendre le piano de façon autodidacte, est-ce possible? (Bien sûr, je l'ai fait) Chère Elle, tu as appris la musique dans les grandes écoles, je n'ai pas eu cette chance-là. Moi, je craignais que celles-ci ne viennent dénaturer mon instinct musical — peur sotte s'il en est une. Pendant une dizaine d'années, j'ai écrit des chansons et me suis produit sur scène, en partie pour me consoler d'être un piètre lecteur (de musique). En contrepoint, je me gavais d'enregistrements du répertoire classique, passant au crible parfois des dizaines interprétations d'une même oeuvre. Plus qu'elle ne m'appartienne, je voulais lui appartenir. Ces morceaux, je les écoutais dans une solitude particulière, celle sombre et multicolore de l'enfance. Ce n'est que plus tard que j'ai compris qu'à travers elle je cherchais mon père. Je ne sais si je le trouverai complètement un jour. Qui sait, peut-être est-ce mieux ainsi.  

Jouer du piano, c'est mon yoga. Échauffements, étirements, coordination des membres, équilibre des masses, etc. Je joue aussi pour garder huilées mes facultés mnésiques et rythmiques (je n'ai que 43 ans, je préviens les chutes). Parfois, le piano m'intimide lorsque je n'arrive pas à lui donner tout l'amour qu'il me rend. Au reste, faut-il ajouter qu'il ne m'a jamais trahi. Puis, ce meuble que je ne suis pas certain d'aimer, lequel ressemble à un cercueil. Par contre, j'adore ses touches, la juxtaposition du noir et du blanc, l'échelle des tons et demi-tons. J'aime aussi ses organes vitaux : marteaux, feutres, table d'harmonie, cordes; une mécanique fine et précise, véritable travail d'orfèvre. Lorsque j'ouvre le capot du piano, je pense à mon grand-père paternel. Plus jeune, il fabriquait des guitares, mais n'en jouait pas.

Parfois, pour un musicien, l'idéal c'est de pouvoir se passer de son instrument.  C'est presque impossible, les autres lui en veulent aussitôt. Pourquoi t'as abandonné la musique? Tu étais si bonne! Quand est-ce que tu vas reprendre le violon? Ne vends jamais ton violoncelle, ce serait de vendre ton âme!  Si vous croisez un musicien, évitez de lui parler de musique, encore moins de son instrument de musique. 

Un piano se dérègle aussi vite qu'un corps. Pour moins redouter la bête, peut-être faudrait-il  harmoniser nos propres dérèglements aux siens? 


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