Aujourd'hui, j'ai envie de te ramener dans le passé, six ans en arrière plus précisément, en juin 2009... écho à la soirée d'hier, alors que ta famille était réunie pour un lancement d'album.
Une histoire de filiation, entre deux êtres qui se cherchent, qui se percutent. Le plus jeune saute sans parachute dans le vide du silence, dans la plénitude du sens. Il enfile les mots comme d'autres des billes, avec sérieux, avec le sourire, avec tendresse. Porté par le chant d'un piano laqué autrichien, il jongle avec les destins.
Une atmosphère de banlieue surannée, d'entrées asphaltées qui luisent au soleil, s'esquisse doucement. La lassitude des vies atténuées par choix, par les circonstances, s'en détache. Le cocon doucereux d'une famille amputée d'un de ses membres emprisonne un adolescent qui ne sait pas encore que la musique permet d'apprivoiser l'absence. Par soubresauts, il tente de s'en extraire, à travers les images qui défilent sur un écran en noir en noir et blanc, qu'il avale comme des gélules anesthésiantes, à travers la douleur qu'il lit dans le regard de sa mère, à travers les contacts fuyants entretenus avec son père. La trame de l'histoire se tend, se dénoue, se déchire, voile fragile qui enveloppe l'âme telles les bandelettes d'un miraculé.
Je l'écoute et je sais confusément ce qu'il n'ose pas transmettre autrement. Le silence attentif du groupe assemblé le porte, le déporte, le transporte. Derrière la danse des syllabes, j'entends la petite musique d'une adolescence jamais oubliée, j'en perçois les motifs qui s'entrechoquent. Il m'offre l'instant, celui du lâcher-prise, du don gratuit de ces parcelles de lui-même. Je l'accepte en toute simplicité.
La voix devient de plus en plus affirmée, alors que la tragédie ronge le quotidien de son personnage, que la lumière originelle - Urlicht - luira ensuite. La vie comme série de renoncements, de recommencements.
Il ne le sent que confusément mais son père écoute, les oreilles écarquillées par la joie, l'âme déchirée au rappel des heures passées dans une apparente indifférence, dans une troublante intolérance. Il continue de délier le fil de son histoire, seul dans le noir, dans la musique. Il ne l'a pas entendu, mais une seconde il rêve que l'homme qui l'a engendré chuchote à mon oreille, avec un accent débordant de soleil: « Je suis tellement fier de mon fils. »
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