vendredi 15 mai 2015

Le silence de Schumann

Ce matin, j'ai fait la grasse matinée. Ni le travail (rien d'urgent à livrer) ni la séance pianistique de mon colocataire (les Suites anglaises de Bach) n'ont eu raison de mon besoin de sommeil. Sont-ce les effets de l'âge ou de la maturité, bien que j'aie toujours mieux fonctionné la nuit, comme bien des gens, j'affectionne particulièrement les matinées; là où s'enracine la dynamique du geste artistique. Créer tant qu'il fait jour, écrivait Schumann.

Nous savons tous que la musique est un art de la nuit, laquelle partage avec l'écriture - particulièrement l'écriture poétique, comme nous le savons - les considérations de rythme, de pulsation et de sonorité; et de surcroît trouve sa résonance la plus aboutie dans le silence de la nuit. Mais le jour seul permet à l'artiste de montrer ce qu'il sait faire. 

À une période de ma vie, je faisais constamment dans l'autosabotage. Et lorsque la peur de réussir me tétanisait plus que la peur d'échouer, la nuit me réconfortait telle une Vierge Marie. Je voulais boire la nuit, l'absorber comme un médicament Celle-ci incarnait tour à tour mon kif, mon opium, ma fuite vers l'avant. Mais à peine réalisai-je mon besoin grandissant de raconter, de transmettre, que le jour s'affirmait comme unique réceptacle au besoin d'être reconnu.

C'est pourquoi je pense que la nuit favorise l'élévation, le jour le développement. 

De tous les ouvrages que j'ai lus sur Schumann, Musiques de nuit de Michel Schneider (ed. Odile Jacob) demeure le plus bouleversant. L'auteur évoque la nuit en maîtresse spirituelle de la musique, examine la complexité du triangle amoureux entre Robert, Clara et Johannes Brahms, cristallise le piano en confident extrême et véritable bouée de sauvetage du jeune Robert — revendiquant ainsi l'instrument comme réalité onirique absolue du compositeur. J'ai beau avoir rencontré Schumann bien après Chopin, Mozart et Beethoven, le compositeur des Scènes d'enfant reste l'un des piliers de mon identité de musicien. Ils sont nombreux à mépriser sa musique — comme ceux qui méprisent la musique de Mozart — , le fait qu'il soit mort fou ou qu'il n'ait pas excellé à l'opéra. Nul artiste n'a aussi bien traduit en musique  la profondeur du rêve, nul n'a plus souffert de l'attente du jour nouveau, de l'amour. Les âmes romantiques reconnaissent le plus justement l'injustice en ce monde, la première injustice étant l'impossibilité (inavouable pour l'esprit non-artistique) de faire sien l'amour qu'il espère.       


Marc-André Hamelin m'avait profondément déstabilisé le soir où il avait demandé que les critiques quittent la salle. D'aucun n'était présent, hélas!, et je craignais que sa courageuse intervention ne nuise à son interprétation de la Fantaisie de Schumann. Talent et professionnalisme obligent, il n'en fut rien. 

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