mercredi 27 mai 2015

Une scène du café, hier après-midi

Ma chère, 

On vient de me violenter. À la terrasse du café, l’ordinateur sur mes genoux, une jeune lesbienne fin trentaine, tatouée, cheveux coupés très courts, trapue, pas très jolie m’accoste spontanément : « Tu travailles jamais, toé? »   

J’ai considéré un bref instant recourir à la force physique. Non, je ne l’aurais pas fait, parce que la violence physique est le moyen des faibles. Parce que les mots enseignent mieux qu’un coup de poing. Parce que j’ai pitié de ces gens dont l’ignorance dépasse les bonnes manières. Insulté, j’ai riposté : « Je vais te répondre honnêtement, je ne fais que ça, travailler, je suis traducteur, écrivain, pigiste, je suis aussi musicien mais j’peux pas apporter mon piano ici, oui, je suis pigiste, nous, les pigistes, on vit dans un monde à part, on est comme des exilés, on est des travailleurs marginaux, c’est pour ça que pour nous il n’y a pas de cloison entre travail et plaisir, entre passion et loisir, pour nous la vie c’est un tout, on fait feu de tous bois, on travaille tout le temps, on réfléchit tout le temps, on pense tout le temps, c’est pour ça que je viens ici tout seul, comme tu l’as sûrement remarqué, bien que des fois je parle à des gens, j’ai droit à des pauses aussi, comme tout le monde, mais je viens ici tout seul, tout le temps, pis j’aime pas me faire déranger, parce que je travaille, j’espère que ça répond. »

J’aurais voulu lui faire avaler tout rond son ignorance poisseuse. Comme une fille qui ne comprend les choses qu’à moitié, elle me répond bêtement : « C’est bon ça ».

Il m’arrive de regretter de considérer les êtres autant.



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