mardi 12 mai 2015

Rester près de ce qui fait mal

J'ai longtemps hésité à vivre. Tandis qu'elle me massait le dos — c'était avant que nous nous fréquentions —, appuyant délicatement sur une zone de muscles coincés, elle me lançait, véritable coup de poing : « Claudio, tu as longtemps hésité à vivre. » Plus tard, elle s'ouvrait à moi, me parlait de ses blessures : relation conflictuelle avec son père (« ça ne m'a absolument rien fait quand il est mort »), échec sur toute la ligne de ses relations amoureuses avec les hommes, vie de mère difficile, etc. Nous avions rapidement développé une complicité amicale, fruit d'un partage mélancolique, voire ténébreux, basé sur nos échanges de grisaille et de solitude. Après quelques mois, je quittais cette femme; fondue dans un moule rigide de calcul et d'appréhension au quotidien. Elle n'avait pas (encore) trouvé le moyen de sublimer son mal. La blessure étant éternelle, tous les efforts de l'individu doivent concourir à trouver, le plus tôt possible, les moyens de la sublimer.

Ces dernières années, plusieurs personnes m'ont avoué vivre au quotidien avec un étrange sentiment de vide, car elles étaient convaincues qu'elles ne portaient pas en elles de véritable blessure (oui, il y a de ces gens-là!). Souffre-t-on davantage lorsqu'on est loin de la blessure, lorsqu'on n'arrive pas à la reconnaître? Ce vide, blessure sournoise s'il en est une, provient de ceci que la capacité de sublimation n'est pas mise à profit. Puisqu'on est au cœur des séries éliminatoires de hockey, j'imagine, en comparaison, un génial gardien de but jouant au sein d'une équipe de faible talent. Sa garde géniale devant le filet ne fera sens que s'il peut signer des victoires, que s'il parvient à montrer ce qu'il sait faire.  

Je vois mes blessures comme des alliées, des entités célestes, comme un ami de longue date et pour longtemps — c'est ainsi que la vie l'a choisi. Au moment de sentir poindre l'angoisse, je m'adresse à celle-ci, comme un père qui cherche à comprendre le comportement de son fils. « Que cherches-tu à exprimer, qu'aimerais-tu me demander, qu'est-ce qui te dérange au fond, quelles sont tes questions, comment puis-je y répondre? » 

L'angoisse est une question. Pour l'esprit moins gagnant, l'angoisse est une réponse. 


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