dimanche 17 mai 2015

Naître des cendres

Je ne suis même pas surprise que tu évoques cette fameuse Nuit blanche, car depuis le début de ce projet, son souvenir a surgi plusieurs fois. Je me souviens de la fièvre avec laquelle j'avais noté ce vœu sur le papier, de l'espoir désincarné en voyant le feuillet brûler. Nous n'étions pas encore prêts à accepter entièrement la démesure du geste créateur. J'étais encore trop entravée pour considérer m'élancer sur le pont de corde rongé par les intempéries. Tu n'avais pas encore accepté la nécessité de la parole, de la transmission.

Pourquoi la lecture de mon texte a-t-elle été si significative? Ce n'est pas la première fois que j'entends mes mots dans la bouche de quelqu'un d'autre (je me souviens notamment d'une soirée au café, alors qu'A avait lu je ne sais plus laquelle de mes nouvelles à haute voix), mais cette fois-ci, c'était différent. Probablement parce que trois axes importants de ma vie s'alignaient sur un même plan: la littérature, la musique et le théâtre... L'impression d'assister à la naissance d'une parole véritablement incarnée, de ne plus pouvoir (avoir à) me cacher derrière un pseudo, d'avoir d'une certaine façon trouvé un centre.

J'ai repensé hier à cette soirée que tu évoques, mémorable de bout en bout en fait. Nous étions partis à pied de chez moi en direction de l'appartement d'O. Quelques minutes de marche avaient suffi pour que tu souhaites t'arrêter dans un café, le Mariposa, que j'avais à peine remarqué jusque-là, déserté à cette heure. Dans un coin, un piano, des rappels de musique partout, l'endroit accueillant des soirées de musiciens amateurs.

Une fois chez O, nous nous étions joints aux autres, assis par terre dans une grande pièce. Je me rappelle avoir échangé avec ce garçon au prénom bizarre (qui m'échappe ici), mais surtout de l'écoute de la Sonate « à la lune » de Beethoven (un enregistrement d'Horowitz, nous étions en territoire conquis). Bouleversé par son écoute, M avait protégé son visage de sa main gauche, doigts ouverts cependant, ne faisant qu'un avec la musique, porté, guéri aussi sans doute, par elle.

Nous quitterions en vitesse pour retrouver l'atmosphère si particulière du Gesù. Ébloui par la grâce d'une de ces beautés fugaces qui croisent périodiquement ta route, démuni, dépouillé, tu découvrais le vocabulaire de la danse contemporaine (mâtinée ici d'un rien de danse africaine). Quelques paroles échangées avec la belle après la prestation, puis nous consignerions nos vœux avant d'arpenter quelques instants la Place des Festivals. Aucun souvenir du retour, probablement parce que, déjà, je me blindais pour ne pas me laisser écorcher par la réalité.

Février 2012... il y a un siècle, il y a une éternité.




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