Ce matin, une envie de partager ce texte écrit de façon professionnelle il y a deux ans, qui lie deux des compositeurs de mon triumvirat, pendant que je prends un peu de temps pour vider mon cerveau de l'agitation des dernières semaines.
Les puristes
hésiteraient à lier, dans une même proposition, un même souffle, Mozart et
Schumann. Deux époques différentes, deux langages uniques. Deux passions
partagées néanmoins : l’une envers la musique, l’autre envers les mots. Si
le nombre d’œuvres produites par Mozart peut étourdir (plus de 600), on oublie
trop souvent qu’il était un épistolier fervent, qui a écrit au long de sa trop
courte vie plus d’un millier de lettres, à ses parents, à sa femme, à ses amis,
mû par un pressant besoin de raconter, sans
jamais entièrement se raconter; sa
musique le ferait à sa place.
Quand on lit ses
lettres – comme lorsque l’on déchiffre ses grandes œuvres musicales –, on
sourit souvent, on rigole parfois à voix haute, on potine et se moque des
travers de ses contemporains (certaines critiques sont particulièrement
assassines!). On fond de tendresse quand il écrit à Constanze, on se reconnaît
dans sa peur de la mort, dans sa quête perpétuelle d’être enfin accepté par son
père. « Papa chéri, je ne puis écrire en vers, je ne suis pas poète. Je ne puis
distribuer les phrases assez artistement pour leur faire produire des ombres et
des lumières, je ne suis pas peintre. Je ne puis non plus exprimer par des
signes et une pantomime mes sentiments et mes pensées, je ne suis pas danseur.
Mais je le puis par les sons : je suis musicien. »
Schumann voue lui aussi un amour presque viscéral aux mots.
Fils d’éditeur, lecteur vorace, il a considéré pendant un certain temps
embrasser le monde de la littérature plutôt que celui de la musique. Il finira
par unir ses deux passions en devenant critique musical et en fondant une revue
musicale, le Neue Zeitschrift für Musik (toujours en
opération aujourd’hui). Nombre de ses articles, d’une grande finesse,
analytiques sans tomber dans le démagogique, sont devenus de véritables pièces
d’anthologie. Cette morsure de l’écriture se transmet aussi dans ses lettres,
finement ciselées, évoquant aussi bien petits événements du quotidien qu’interrogations
plus fondamentales, notamment lorsqu’il plaidera sa cause auprès de son futur
beau-père, Friedrich Wieck. Elle se
décline aussi en sous-texte de nombre de ses pièces, dans lesquelles les êtres chers deviennent des personnages, ses
personnalités (Eusebius le rêveur, Florestan le passionné, Raro le sage) prenant
tour à tour possession d'une page.
Son journal intime (partagé pendant
quelques années avec Clara) se révèle aussi particulièrement significatif. Cette
entrée datée de 1833, alors que Schumann a 23 ans, donne le frisson : « Dans la
nuit du 17 au 18 octobre, il me vint tout à coup la plus effroyable pensée
qu’un homme puisse avoir, et la plus terrible par laquelle le Ciel puisse punir
: LA PENSÉE QUE JE PERDRAIS LA RAISON...» Quelle incroyable prescience de ce
qui allait se passer…
Celui qui doutait n’aurait
probablement pas prédit que sa musique franchirait les ères et les modes.
Pourtant, sa musique, comme celle de Mozart, reste, entière, inaltérable,
essentielle, comme la vie qui bat.
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