Je crois que la littérature mène à tout, à condition de l'observer, de l'écouter lentement, de la relire, jusqu'à ce que l'on réalise qu'on se comprend mieux soi-même après coup. J'intimais à mon amie Marie-Claude, hier soir : « Je lis avant tout pour lire en moi, pour me défaire de couches de fermeté, de dureté, d'inflexibilité en moi. Lorsqu'en lisant un passage, je m'exclame "Tiens, c'est exactement ce que je pense, ce que je ressens", cela produit un effet d'assouplissement de tout mon être, par lequel je m'arroge le droit à une sensibilité plus profonde, plus intense au monde extérieur.
Hier, un tour à Cartierville pour un achat potentiel; un cadeau que j'aimerais offrir à mon père qui se plaint de maux de dos, les sièges de sa Saturn n'offrant pas le support adéquat. Il s'agit d'une Toyota Camry V6, au très bas kilométrage, sans aucune rouille, entretenue impeccablement par son propriétaire, un professionnel décédé l'an dernier après un long combat. À l'avant de la maison, l'encart « Vendue » trône sur le panneau de l'agence immobilière. La veuve, une ancienne professeure de français au secondaire, m'accueille chaleureusement. L'esprit vif et la voix claire, elle se déplace lentement, les mouvements de bras circonspects et la démarche un brin claudiquante. Ce qui m'étonne au premier coup, c'est son regard, qui recèle une attention aux moindres détails. « Par le son de votre voix, me dit-elle, je devine que vous êtes musicien, je suis certaine que vous jouez du piano ». Elle se raconte un peu, m'intime que ses trois enfants habitent à l'étranger, l'un d'eux dirige l'équipe de designer de BMW, en Allemagne. Quelle coïncidence, celle d'avoir en face la mère de ce professionnel dont le patronyme m'est si familier depuis plusieurs années.
La voiture a besoin de réparations, dont une assez coûteuse. « Je prendrais soin de cette auto », et l'octogénaire de répondre : « Mon mari l'adorait. » Notre conversation, dans une maison hantée par le deuil et les départs, aurait pu m'accabler, mais il n'en fut rien. Au contraire, je me sentais privilégié de faire connaissance avec cette dame (j'allais écrire jeune dame). J'ai omis de lui dire qu'avant de rentrer, tandis que je lorgnais le gazon fraîchement coupé et les fleurs parfaitement alignées, j'espérais qu'il y ait un piano à l'intérieur.
Elle est restée mariée 55 ans à cet homme. Comment dire, cette Toyota n'incarne pas tant pour moi un objet mécanique fait de tôle et de plastique, mais la mémoire vivante d'un homme qui aimait sa femme, ses enfants, et la vie. C'est ça surtout qui me donne l'envie de l'acheter, et d'en faire cadeau.
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